Trets, au centre de la controverse

En France, Soka Gakkai se veut et se déclare apolitique. On peut se demander ce qui se cache derrière ce terme flou et abstrait tant les actions humaines de la plus complexe à la plus élémentaire sont toutes plus ou moins liées à celles des autres et deviennent par extension partie d'un tout social et politique.

Par apolitique, les membres du Consistoire Soka du Bouddhisme Nichiren (organe moral représentant l'organisation Soka en France) entendent que le mouvement Soka ne fait pas de politique. Schématiquement, les associations Soka (ACSBN, ACSF, ACEP) ne soutiennent aucun parti politique, ne participent à aucune campagne électorale, ne proposent aucun personnel aux scrutins républicains, de mentionnent aucune tendance, ni idéologie passées ou présentes, dans les publications, ni dans les discours et communications internes. Le mouvement Soka n'est pas un mouvement politique. Le Consistoire Soka du Bouddhisme Nichiren à l'ambition de pouvoir réunir en son sein toutes les tendances nationales dans une cause commune, la réalisation de l'éveil (du bouddha) et la paix durable à l'échelle planétaire.

Cet œcuménisme social et apolitique défendu par les membres du Consistoire Soka du Bouddhisme Nichiren permet de laisser libre le pratiquant dans ses opinions politiques, fussent-elles parfaitement opposées aux fondements du bouddhisme. En clair, même les parfaits salauds peuvent devenir bouddha (et par là même cesser d'être des parfaits salauds). Cet article de foi est tout à fait défendable et ne diffère en rien au salut préconisé par le christianisme, à la bienveillance attendue du musulman, ou de l'indulgence propre à tous les courants humanistes d'envergure transculturelle.

Pourtant, malgré cet apolitisme avéré, le centre européen de Trets (Provence) se trouve en ce début d'année au cœur d'une controverse politique. En effet, le journal La Provence, puis le local La Marseillaise, se sont fait le portes-voix d'une série de réactions des élus locaux et des acteurs institutionnels régionaux suite au repas de fin d'année du conseil municipal de l'agglomération de Trets. L'événement est banal : la mairie organise un repas de fin d'année (comme chaque année) et il se déroule dans une salle spacieuse et capable d'accueillir le personnel et les invités du banquet. Le hic est que l'événement a lieu en lieu et place du Centre Européen de Trets, point d'orgue de l'organisation Soka en Europe.

Interrogé sur le choix de ce lieu, M. Le Maire n'y voit aucune symbolique particulière, sinon anecdotique et plutôt heureuse puisque les lieux ont été prêtés à titre gracieux. Le repas s'est bien déroulé. Les hôtes étaient aimables et prévenants, le lieu charmant, avec vue imprenable sur la Sainte Victoire. M. Le Maire n'y voit aucune malice, pas plus que son personnel. Mais ce n'est pas ainsi que le perçoivent ses opposants politiques, ni certains acteurs locaux. Sous l'impulsion du terrain, l'événement est relayé par la presse du coin, et se retrouve en moins de deux semaines dans les colonnes de journaux parisiens en ligne... Une blogueuse provençale s'en empare au passage, et l'information fait le tour de la blogosphère en moins de 72 heures.

On pourrait croire à la tempête dans un verre d'eau, mais hélas c'est ce genre de petites escarmouches qui masquent des réalités complexes et souvent inextricables. Et ce ne sont pas les déclarations nonchalantes de M. Le Maire de Trets qui vont atténué si peu que ce soit les inquiétudes et les soupçons. On pourrait également croire que cette affaire n'a rien de politique. Il n'en est rien non plus.

Durant l'Eté, le magazine Jeune Afrique avait publié un article sur la colonisation spirituelle que certains mouvements à caractère religieux tentaient en Afrique. Soka Gakkai Internationale figurait au nombre de ces mouvements. Sans pour autant que l'article soit ouvertement diffamant, l'amalgame permettait de laisser planer le coute sur les intentions et les mobiles de l'organisation. Cet article, efficace et dirigé, augurait une nouvelle forme de combat politique et laissait apparaître une alternative au discours classique anti-sectes souvent entretenu et porté par des groupes de défense dont les motivations sont plus que contestables et les appartenances à des tendances religieuses conservatrices, voire intégristes, à peine voilées. Jeune Afrique était en quelque sorte l'avant garde d'une rhétorique alternative, combattant non plus les doctrines et les croyances, mais plutôt l'influence politique et le pouvoir financier des nouveaux mouvements religieux.

La controverse autour de Trets s'inscrit en droite ligne dans cette nouvelle rhétorique. Pas un seul des détracteurs ne s'attaque à la doctrine, à la religion. Tous ont pour cible la collusion politico-financière et frappent au porte-feuille et à l'entrisme politique. Les questions en filigranes sont à peine voilées. Et les détracteurs de se demander de quelle largesse municipale notre mouvement va bénéficier en échange de notre générosité. D'où un déballage intégral des épisodes marquants de l'acquisition des terrains de Longarel, de l'inauguration, des réceptions en grande pompe de l'ancien maire (père de l'actuel) au Japon et de toute une imagerie propre aux républiques bananières et aux pouvoirs corrompus. La blogosphère francophone ayant pris une ampleur considérable ces trois dernières années, l'histoire est reprise par une vipère locale et monté en aïoli indigeste et corrosive.

Le repas de fin d'année d'une municipalité n'est pas un événement anodin, car l'institution elle-même est la cristallisation des opinions des uns contre les autres. Elle est donc le lieu de l'affrontement politique permanent. Il serait souhaitable et attendu qu'un élu soit le représentant de tous ses administrés. Mais c'est rarement le cas. Et c'est à cette toise que l'on reconnaît une personnalité de valeur, à sa capacité à représenter et à prendre en compte les doléances de ceux et celles qui lui sont opposé, parfois farouchement.

La gratuité est un signe de générosité, mais elle est également éminemment symbolique dans les relations sociales. Elle marque un don et implicitement une dette dont il est difficile de se défaire tant la gratuité porte avec elle une valeur largement supérieure à n'importe quel autre prix, par nature limité. Offrir un lieu pour tenir conseil, pour une cérémonie ou pour une réception n'est pas sans intention. Et c'est la lisibilité de cette intention qui reste capitale pour ne pas subir les foudres de l'interprétation parcellaire ou partiale.

La politique est présente partout. Dans les déjeuners dominicaux de famille comme dans l'hémicycle bruxellois du parlement européen. Nos paroles et nos actions sont politiques, que nous le voulions ou non. Nos pensées le sont aussi. Et vouloir la paix dans le monde n'est pas un vœux pieux, mais une véritable entreprise sociale et politique. Au 13e siècle, dans le lointain Japon, le moine Nichiren était parfaitement conscient de cela. Il ne dérogeait à aucune marque de politesse et connaissait très bien l'étiquette complexe de la société dans laquelle il vivait. Il savait quand s'y soumettre et quand la transgresser. Et il connaissait le prix à payer.

Le principal porteur du projet Soka à l'international fût Daisaku Ikeda. Formé politiquement par son maître, instigateur d'un parti politique et d'une organisation syndicale (finalement fusionnés en une plateforme politique unique), Daisaku Ikeda a su hisser le projet Soka depuis la société japonaise à un échelon international et multi-culturel au travers de l'action de la SGI au sein de l'ONU comme organisation non-gouvernementale. ONG ne signifie pas apolitique mais seulement non représentatif d'une nation ou d'un pays, d'où la mention non-gouvernementale. Pour parvenir à ce degré d'implication dans le processus politique japonais et dans le jeu extrêmement complexe des relations internationales, Daisaku Ikeda a dû s'éveiller à la nature politique de toutes les articulations du monde. Ses choix sont le fruit de cette compréhension.

En France, nous avons crû que l'estampille préfectorale et un bon cabinet d'avocats suffisaient pour nous prémunir contre les rebuffades publiques, pour nous protéger des médias et nous octroyer un blanc seing. Mais l'institutionnalisation, c'est comme le bac. Il marque la fin d'une époque, celle des études élémentaires, et le début d'une autre, celle des études supérieures, ou bien celle, plus rude, du monde du travail. Après la satisfaction d'avoir obtenu le diplôme, il faut rapidement nous rendre à l'évidence que tout le travail effectué ne nous a pas du tout préparé à la suite des événements, et qu'il nous faut alors reprendre le chemin de l'apprentissage et de l'humilité. Il est sage de nous faire des amis éclairés, expérimentés, comprenant les complexités de ce monde pour nous permettre de nous engager sur ces nouveaux chemins.

Devenir une institution est un processus politique. Croire le contraire est une illusion dangereuse qui conduit à mésestimer les situations et les protagonistes. Chaque situation recèle des pièges. Chaque protagoniste est mû par des intérêts multiples et parfois divergents ou contradictoires. Sans une vision politique, il est impossible de comprendre le monde dans lequel nous évoluons. Sans une culture politique, il est impossible de vivre avec les autres et encore moins de partager avec eux des projets de paix. Ce repas anodin aura été l'occasion de mesurer le décalage entre notre représentation du monde et sa réalité. Nous pouvons en tirer des leçons ou bien continuer à faire comme si tout cela ne nous concernait pas...

2 commentaires:

TODA a dit…

Dans la mesure où la couleur politique de la municipalité de Trets n'as eu aucune influence dans la décision d'accueillir cette manifestation, cela ne me choque guère ...demain, une autre municipalité, peut être d'un autre "bord", un autre maire, profitera de la même générosité...Je suis très heureuse de savoir que les "voisins" de notre centre ont pu avoir la chance de passer quelques heures dans ce lieu chargé de tant de bons souvenirs...

TODA a dit…

J'ajouterai même que je serai ravie, un jour,dans un avenir à créer, de pouvoir y accueillir un président de notre république...