Pratiquer le bouddhisme en temps de crise

Le printemps tente de s'installer en France, mais les dérèglements climatiques, la crise financière et le courant invisible de la récession économique continuent de plomber l'atmosphère et les esprits. Mais devant des dangers de tailles colossales et des menaces planétaires, les individus préfèrent se replier sur des problèmes plus proches, plus raisonnables, plus acceptables... mais bien souvent tout autant insolubles : chômage, coût de la vie, souffrances au travail, déchirements familiaux, absence de valeurs morales, échec scolaire, pauvreté, misère physique comme intellectuelle. Où que l'on porte son regard, la réalité ne nous réserve que des tableaux sombres, homogènes, désespérés. Alors même que nous terminons bientôt la première décennie du 21e siècle, l'avenir apparaît comme compromis, autant pour nous que pour nos enfants.
Il y a un peu plus de 50 ans, le 2 avril 1958, Josei Toda, président de la Soka Gakkai, quittait ce monde épuisé mais ayant gagné son pari. A la veille de son décès, 750 000 foyers japonais avaient rejoint le mouvement populaire et bouddhiste de Soka Gakkai. Ce choix familial, bien souvent voulu et soutenu par les femmes, ne signifiait, à cette époque, pas seulement une orientation religieuse personnelle et privée, mais aussi une manière de vivre et un changement dans le comportement social. Quand on sait l'importance des convenances et du savoir être dans les civilisations orientales comme peut l'être la culture japonaise, on mesure aisément la radicalité du choix de ces hommes et de ces femmes qui acceptèrent de recevoir et de garder le Gohonzon.
Pour Josei Toda, la conversion, au vrai sens du terme, de ces 750 000 familles ne représentait pas seulement une réussite numérique, ou bien une justification de son action et de celle des milliers de militants qui formaient l'essentiel de la Soka Gakkai japonaise. Cette victoire signifiait surtout un changement déterminant dans les esprits et la manière de vivre japonaise. Il s'agissait d'une sortie définitive de la culture féodale et autoritaire de l'ère Meiji pour entrer définitivement dans la modernité et le progrès social.
Ce succès ne s'est pas inscrit dans un contexte de facilité ou dans des conditions sociales aisées et confortables. A la lecture de La Révolution Humaine (Editions du Rocher), on découvre le Japon de l'après-guerre, littéralement rasé par les bombardements, détruit intellectuellement par une propagande nationaliste stérile, atomisé au sens propre comme au sens figuré. Ce n'est pas une élite intellectuelle, ni une classe bourgeoise qui décide d'adhérer aux enseignements de Nichiren et aux valeurs véhiculées par le mouvement Soka dès la fin des années 40. Et c'est dans un paysage social assez analogue au notre que va se développer et croître l'organisation japonaise qui compte aujourd'hui plusieurs millions de foyers et la troisième force politique du pays.
A l'instar de Josei Toda, Daisaku Ikeda, son disciple et successeur, a poursuivi et complété le rêve de son maître en dotant la Soka Gakkai de tous les outils nécessaires à faire émerger et fleurir la pensée Soka et la culture Soka au Japon et au delà de l'archipel. Cette institution nationale qu'est devenue Soka Gakkai ne s'est pas non plus construite sur des bases confortables ou bien à des périodes fastes. De même, la Soka Gakkai n'a jamais attendu la reconnaissance publique spontanée ou le crédit monastique pour mener ses activités de diffusion du bouddhisme, mais aussi ses actions humanitaires et sociales. Toutes les victoires ont été gagnées à la force de l'action concrète et non par le jeu des mécaniques juridiques ou institutionnelles en vigueur à telle ou telle époque.
Aujourd'hui, en France et dans de nombreux pays d'Europe, les situations politiques, sociales et économiques sont très semblables à l'après-guerre. Le nombre de tués est infiniment moindre, mais les souffrances n'en sont que décuplées tant l'absurdité des systèmes et des décisions vient contredire le simple sens commun de chaque citoyen. C'est donc maintenant, au milieu des « calamités et des désastres » que peut et que doit s'inscrire le mouvement Soka et les enseignements de Nichiren.
C'est dans cet esprit et dans l'objectif de construire une pensée Soka en langue française qu'est publiée cette initiative provenant de la base. Ce blog, à l'instar des actions énergiques de mes maîtres en la matière, fait partie d'une série d'initiatives qui, je l'espère, feront réfléchir et réagir les pratiquants du bouddhisme de Nichiren pour finalement susciter un authentique et attendu mouvement éthique et social dans la sphère publique.