Consistoire Soka : la collégialité, ou la démocratie de l'indécision

L'article 20 de la constitution du culte du bouddhisme de Nichiren stipule : « Au niveau mondial, l’unité de la croyance est assurée par une autorité centrale qui, dans le respect de la collégialité et des particularités nationales, veille sur les intérêts spirituels des croyants. Cette autorité centrale est formée par le Consistoire mondial Soka du bouddhisme de Nichiren. »
Le dictionnaire de l'Académie française, une référence plutôt solide définit la collégialité de la manière suivante : « système de gouvernement d'un État, de direction d'une société de caractère économique ou d'une administration, où les décisions émanent d'un organe collectif dont les membres ont des pouvoirs égaux. » à quoi il ajoute dans le cadre très spécifique de la religion catholique : « principe selon lequel l'épiscopat réuni en collège, dans l'unité avec le souverain pontife, jouit du pouvoir plénier et suprême sur l'Église universelle. »

Ainsi l'unité de la croyance, c'est-à-dire la définition du socle académique, liturgique et rhétorique du bouddhisme de Nichiren, est assuré par une autorité centrale, dans le respect de la collégialité et des particularités nationales. La collégialité est ici la garantie de la démocratie spirituelle évoquée par Daisaku Ikeda, actuel chef religieux de l'autorité centrale désignée, dans de nombreuses allocutions et paroles d'encouragement que je m'abstiens de citer ici tant elles sont nombreuses. Cette même collégialité est la garantie de l'égalité de pouvoirs conférée aux membres du collège.
Or un problème se pose en l'occurrence. En France (mais elle n'est en rien une exception), les pratiquants du bouddhisme de Nichiren n'ont rigoureusement aucun statut juridique et ne sont membres d'aucun des organes constitutifs de l'institution religieuse mise en place depuis 3 ans déjà. Cela signifie donc que la collégialité dont il est question ne s'applique qu'aux seuls membres de ces organes soit à peine une vingtaine de personnes (membres du consistoire, responsables administratifs des associations, sociétaires...). Cela signifie aussi que la démocratie spirituelle tant appelée de ses vœux par celui qui est considéré comme le seul maître de l'ensemble du mouvement mondial Soka n'a aucune réalité, ni consistance. Elle n'est pour ainsi dire qu'une déclaration de principe trahie par les faits.
Il faut donc admettre que la constitution du culte du bouddhisme de Nichiren, simple et pâle copie remaniée d'une constitution du culte catholique, renvoie à la définition spécifique à l'Eglise catholique de la collégialité : un principe de gouvernance (sic) qui réunit les éminences (l'épiscopat) dans l'unité avec le souverain pontife (le pape) pour bénéficier d'un pouvoir complet et total (plénier) sur la communauté des croyants (l'Eglise universelle). Par cette définition, il est entendu que les croyants n'ont pas de statut autre que celui conféré par les autorités de l'Eglise. Il est entendu aussi que seules les autorités ont en main tous les moyens et toutes les prérogatives pour décider de l'état et du devenir de l'Eglise.
Appliqué au Consistoire Soka et à l'institution à trois têtes (apparentes) qui administre le culte et ses affaires, cela signifie que seuls une poignée de pratiquants sans représentation réelle, sans désignation ou élection populaire, et sans autre autorité que celle conférée par des tiers extérieurs règne sans partage et sans contrepartie démocratique sur quelques milliers de croyants dociles et généreux.

Je ne dis pas ici qu'il s'agit là de l'intention de ces pionniers que sont les membres du Consistoire Soka ou bien les membres des institutions qui le soutiennent. Je constate simplement que la réalité des faits est la construction discrète et simpliste d'une institution non démocratique, non représentative et unilatérale de fait.

Comment en sommes-nous, français contestataires et réfractaires, arrivés à une telle structure parfaitement antagoniste avec les valeurs des Lumières et la tradition républicaine ?

Car connaissant les membres de l'épiscopat bouddhique de la Soka Gakkai, je ne peux pas les accuser d'autoritarisme, de manipulation ou d'abus de confiance. Nous ne sommes pas, nous les croyants, de simples consommateurs ou des usagers pris dans une arnaque de masse ou bien dans un détournement. Nous pratiquons le bouddhisme de Nichiren, un enseignement censé nous rendre autonomes, responsables, acteurs de nos vies et de nos sociétés. Et ce n'est pas là la promesse de l'actuelle institution, française ou japonaise. Il s'agit de la promesse de Nichiren lui-même.
Nous ne pouvons donc nous en prendre qu'à nous-mêmes, car nous avons laissé les choses déraper et prendre une tournure parfaitement contraire à la société de création de valeurs à laquelle nous souhaitions adhérer. Nous avons préférer faire ce que nous autres français faisons de mieux, déléguer à des tiers le soin de décider de l'avenir du mouvement auquel nous avons adhéré. Et ces tiers ont gentiment délégué à d'autres tiers, spécialistes auto-proclamés des questions religieuses, le soin de décider de l'avenir de notre mouvement. Faute d'esprit de recherche et d'authentique responsabilité personnelle, nous voilà embarqués dans une aventure qui a déjà démontré ses écueils et son échec.

Car la constitution du culte et l'institutionnalisation de la spiritualité est exactement ce que l'Eglise catholique a tenté de faire presque cent cinquante ans avant nous. Et de l'aveu même de son épiscopat, l'expérience est une impasse. L'institutionnalisation doublé de la simplification outrancière du culte ont conduit l'Eglise universelle à perdre ses fidèles au profit de cultes plus exotiques, plus ésotériques, plus attachés à la communion singulière et originale et non à l'adhésion patrimoniale traditionnelle. Aujourd'hui, l'Eglise tente de regagner ses fidèles qui se sont aventurés dans les sentiers du bouddhisme, du chamanisme et d'autres courants plus séduisants et plus proches des attentes de spiritualité et d'implication personnelle.
C'est dans ce chemin sans issu que nous avons engagé l'ensemble de notre mouvement, du moins en France et dans de nombreux autres pays occidentaux. La conséquence est l'inconsistance et la transparence dont nous faisons preuve dans l'espace public. Du statut de secte médiatisée, nous sommes passés à... rien ! Dans le paysage religieux français, nous sommes devenus invisibles. Lisses, sans aspérités, sans discours, sans positions, sans valeurs et sans membres adhérents, nous ne sommes plus qu'une entité administrative vide de contenu et surtout vide de sens.

Alors, il est peut-être temps de s'éveiller à notre rôle d'individus, que ce soit en tant que sympathisant, simple croyant, ou militant. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de démocratiser l'institution de manière analogue à un syndicat ou à une association caritative classique, il est maintenant nécessaire de faire entendre notre voix et de commencer à proposer de véritables projets à tous les niveaux d'intervention que nous pouvons avoir dans la société. Qui au niveau de sa famille, qui au niveau du quartier où il habite, qui dans sa ville, dans son département, dans sa région ou dans son pays.
Et ces initiatives ne peuvent plus être considérées de façon anecdotique par l'institution comme s'il ne s'agissait que d'une simple étincelle locale à la périphérie du mouvement. Nos actions, nos projets, nos réalisations sont la moelle épinière du mouvement Soka en France. Ils sont le mouvement lui-même ! L'institution, par définition, ne peut produire que de l'inertie et de la conservation. Elle repose entièrement sur ces acteurs pour vivre et s'animer. Or en trois ans, nous n'avons rien vu de neuf, rien perçu dans l'espace public. A l'intérieur la crainte continue de régner. A l'extérieur, la République nous attends au détour. Et au sein des institutions républicaines, l'appartenance à Soka Gakkai - ACSBN est toujours perçue comme un danger et un risque dans un contexte de plus en plus sécuritaire.

La collégialité, nous devons la revendiquer, puisque nous sommes, en tant que croyants, censés adhérer à la constitution du culte du bouddhisme de Nichiren. Et c'est en portant nos projets personnels ou collectifs que nous serons en mesure de légitimer notre revendication autant que la validité de notre mouvement. Sans nous, l'institution Soka n'est rien, une coquille vide. Sans nos dons, l'édifice s'effondre. Sans nos efforts pour manifester les bienfaits du bouddhisme dans la société et auprès des nôtres, l'idéal Soka est une notion vaine, dépourvue de substance, un slogan bidon...
Nous ne pouvons plus nous permettre de déléguer notre avenir, pas plus à une institution juridique en mal de reconnaissance qu'à un système de gouvernement qui place ces intérêts personnels avant le bien commun. Le combat à mener vaut pour tous les aspects de notre citoyenneté et aura des effets sur toutes les facettes de la société.
Bien sûr, nous pouvons également baisser les bras, abdiquer de notre autonomie et de notre choix individuel pour rejoindre le troupeau. Dans ce cas, nous ne pourrons pas nous plaindre quand il nous sera demandé davantage de sacrifices sans aucune contrepartie. C'est en général ce qui se passe que la démocratie finit par disparaître complètement.

0 commentaires: